De Julia de Funès
Mon avis :
Julia de Funès, philosophe et essayiste française, s’est fait connaître pour son regard critique sur les dérives du management et du développement personnel. Avec son livre Développement (im)personnel, elle s’attaque frontalement aux injonctions modernes du “sois toi-même” et du “tout est possible”, et ça pique.
J’adore lire des livres sur le développement personnel et l’art oratoire. J’essaie souvent d’appliquer les plans de route proposés par les coachs : suivre leurs étapes, tester leurs méthodes, ajuster mon quotidien. Mais en ouvrant ce livre, Julia m’a littéralement bousculé dans mes habitudes. Et finalement, c’est ça aussi la philosophie : cette capacité à nous faire réfléchir autrement, à affûter notre esprit critique.
Je ne suis pas d’accord avec tout ce qu’elle avance et j’aurais aimé parfois plus de solutions concrètes. Mais j’ai pris un vrai plaisir à lire cet ouvrage : il m’a permis de me remettre en question, d’élargir mes perspectives et de questionner certaines certitudes qu’on nous vend comme universelles.
Je le recommande autant aux passionnés de développement personnel qu’à ceux qui se sentent étouffés par les “il faut” et les “tu devrais” de notre société. Une lecture qui secoue, mais qui fait du bien.
Chapitre 1 : Diagnostic
Julia de Funès démarre fort et ne tourne pas autour du pot :
« Nous assistons à une montée en puissance de l’idéal du “moi”, au point que rien ne semble désormais compter davantage que l’épanouissement pour justifier l’existence. »
En clair, notre époque place l’épanouissement personnel tout en haut de l’échelle des priorités. Il ne s’agit plus seulement de vivre sa vie, mais de l’optimiser, de la rendre parfaite et pleine de sens.
Pourquoi cette obsession du développement personnel ?
Julia de Funès pose une question centrale :
Pourquoi associe-t-on automatiquement développement personnel et réussite ?
Elle observe une idée paradoxale :
- Plus on nous dit que le bonheur dépend uniquement de nous, plus cela devient… anxiogène.
- Cette responsabilité énorme pousse à chercher des solutions toutes faites : performer individuellement, trouver la recette miracle du bonheur.
A) Fin du cosmos
Julia de Funès poursuit sa critique en remontant aux racines philosophiques de la question : qu’est-ce qu’une vie réussie ?
Elle s’appuie sur Platon et Aristote qui, à leur époque, voyaient la réussite non pas dans l’obsession du “moi” mais dans la place que l’on occupe dans l’ordre global. Pour eux, une vie bonne est une vie alignée avec un tout plus vaste, un cosmos où chaque chose a une fonction et une place précise.
Autrement dit, ce n’est pas la psychologie ou le caractère de l’individu qui compte avant tout, mais la cohérence entre soi et l’ordre du monde.
Julia de Funès renvoie d’ailleurs à l’ouvrage de Luc Ferry, “Qu’est-ce qu’une vie réussie ?”, qui approfondit cette réflexion et interroge la manière dont cette vision antique a évolué vers notre quête moderne d’épanouissement individuel.
B) Effondrement religieux
Après l’ordre du cosmos antique, Julia de Funès explore un autre repère qui a longtemps guidé la réussite d’une vie : la religion.
Pendant des siècles, réussir sa vie signifiait respecter les commandements de Dieu. La morale et les choix de vie étaient dictés par une autorité extérieure et supérieure à l’homme : la figure divine. C’est ce que l’auteure appelle l’altérité divine.
Avec l’effondrement progressif de cette référence religieuse dans nos sociétés modernes, cette autorité a disparu. Conséquence ? L’homme contemporain n’a plus ce cadre collectif dans lequel il pouvait s’inscrire. Il se retrouve livré à lui-même pour définir ce qu’est une vie réussie… mais aussi isolé, car il n’a plus besoin de s’unir autour d’un idéal commun.
C) Déclin des valeurs humanistes
Après la perte des repères antiques et religieux, Julia de Funès aborde le troisième grand pilier qui a guidé l’humanité : les valeurs humanistes. Ces valeurs s’appuient sur la raison, la science, la démocratie et l’égalité.
« L’individu passe donc progressivement de la transcendance cosmique et de la transcendance divine, à la transcendance humaniste. »
Ce mouvement place l’homme au centre : c’est à lui, désormais, de se donner ses propres lois, de choisir son chemin. Mais en supprimant toute autorité extérieure, on crée une nouvelle situation : l’individu se retrouve seul face à lui-même, sans guide préétabli, avec la responsabilité de trouver — et d’inventer — le sens de sa propre existence.
Cette évolution ouvre la porte à une quête intense et parfois anxiogène : si je dois moi-même décider de tout, comment savoir si ma vie est réussie ?
Chapitre 2 : Symptômes
A) Le triomphe de l’individu
Après avoir retracé la disparition des repères extérieurs (cosmos, religion, valeurs humanistes), Julia de Funès s’intéresse aux symptômes de notre époque : le triomphe du “moi”.
L’épanouissement personnel est devenu l’unique critère d’une vie réussie. Que ce soit dans le domaine professionnel, affectif ou familial, la question du sens de la vie n’est désormais acceptable qu’à une seule condition :
qu’elle dépende uniquement de la personne qui la vit.
Une quête d’authenticité
Cette évolution pousse chacun à être toujours plus autonome, à se lancer dans une quête de vie personnelle et authentique. Le bonheur se conçoit désormais dans la sphère privée et doit s’exprimer dans tous les domaines de la vie sociale :
- Travail qui a du sens
- Relations choisies
- Soins du corps et de l’esprit
L’individu « Narcisse »
Julia de Funès introduit la figure de l’individu “Narcisse”. Attention : elle ne parle pas ici de narcissisme au sens psychologique (orgueil excessif), mais plutôt de la tendance à centrer sa vie sur soi-même.
C’est l’individu qui veut vivre pleinement ses émotions, se nourrir sainement, faire du yoga, de la danse, de la barre au sol, prendre soin de son corps et de son esprit. Une quête d’épanouissement qui, à force d’être poussée à l’extrême, devient un nouveau stade de l’individualisme.
B) Un « moi » social
Julia de Funès soulève une nouvelle question : avec l’avènement du développement personnel, tout devient codifié. On parle sans cesse de singularité, d’authenticité… mais en réalité, la réussite suit souvent un code social implicite.
Elle s’interroge :
Comment peut-on parler d’originalité et de personnalisation si tout le monde suit les mêmes recettes du bonheur ?
C’est là tout le paradoxe : les livres de développement personnel s’adressent à un individu, mais ils touchent des milliers de lecteurs en même temps. Résultat, chacun cherche à être unique… en empruntant les mêmes chemins que les autres.
C) Expansion du domaine du « moi »
Julia de Funès explique que cette individuation – cette centration sur soi – s’étend désormais à tous les domaines de l’existence.
En politique : elle prend l’exemple d’En Marche et des Gilets Jaunes, deux mouvements très différents mais qui ont en commun de se structurer autour d’individualités plutôt que d’un idéal collectif stable.
Dans la santé et le bien-être : la médecine esthétique, les thérapies personnelles, les coachings bien-être visent moins à soigner ou réparer qu’à améliorer, embellir, apaiser. L’objectif n’est plus la santé minimale, mais un idéal de forme et de beauté.
Dans le sport : chacun pratique désormais à son rythme, selon ses propres objectifs (plaisir, performance, bien-être), avec une personnalisation extrême des pratiques.
À l’école : l’éducation est invitée à s’adapter aux besoins spécifiques de chaque enfant, quitte à bousculer les cadres collectifs.
Dans l’entreprise : même le lien de subordination traditionnel est remis en cause. Les collaborateurs veulent plus d’autonomie, de sens, de flexibilité, et questionnent en permanence les structures hiérarchiques.
Chapitre 3 : Effets indésirables
L’image contre le “moi”
Julia de Funès résume ainsi le paradoxe de notre époque :
« Le renforcement de l’image est inversement proportionnel à la dévitalisation du “moi”. »
Autrement dit, plus on soigne notre image (notamment via les réseaux sociaux), plus on risque d’appauvrir notre intériorité réelle. Le Narcisse 2.0 se met en scène, masque sa vulnérabilité derrière des photos parfaites et des statuts inspirants, mais son moi profond devient fragile.
Cette quête d’image entraîne l’émergence de nouveaux troubles psychologiques.
A) Dépression
Avant les années 1970, les pathologies mentales étaient souvent associées à la folie : un désordre opposé à la raison, qui définissait l’esprit humain. Les conflits psychiques tournaient alors autour de la culpabilité : l’individu voulait s’affranchir des normes sociales qui le contraignaient.
La névrose était donc perçue comme le résultat d’une répression sociale : l’individu souffrait parce qu’on l’empêchait de s’épanouir.
Après les années 1970, tout change. L’individu devient maître de lui-même : plus de pression extérieure, plus d’autorité divine ou collective. Mais cette liberté nouvelle amène un autre fardeau :
- Si je suis totalement libre, mes échecs ne dépendent que de moi.
- Le conflit psychique n’est plus lié à la culpabilité face aux normes, mais au sentiment d’insuffisance personnelle.
C’est ainsi qu’apparaissent des troubles liés à l’estime de soi, au sentiment d’infériorité, et une dépression de la responsabilité : celle d’un individu seul face à ses choix et à son incapacité à atteindre l’idéal de bonheur qu’on lui vend.
B) La fatigue d’être soi
Julia de Funès observe une mutation des troubles psychologiques : l’angoisse névrotique, signe d’un conflit interne et de culpabilité face aux normes, laisse place à une fatigue dépressive.
Cette fatigue n’est pas simplement de la lassitude :
- Elle épuise
- Elle vide
- Elle rend incapable d’agir
L’individu est désormais libre de toute contrainte extérieure, mais cette liberté l’écrase : il se retrouve face à une pesanteur interne. Il ne souffre plus de la répression sociale, mais de l’exigence d’être entièrement responsable de son bonheur.
C) La dépendance
Ce vide intérieur pousse à chercher des solutions pour combler le manque : thérapies, développement personnel, consommation de bien-être, réseaux sociaux… Tout devient prétexte à stabiliser un “moi” en perte de repères.
Mais ces tentatives révèlent une autre contradiction :
- Il n’y a plus de pression extérieure (ni cosmos, ni Dieu, ni valeurs collectives)
- Mais il y a une pression intérieure énorme : celle de devoir réussir à être soi-même
Julia de Funès décrit cette contrainte comme psychique : invisible mais omniprésente, elle pèse sur l’individu et nourrit fatigue, anxiété et dépendances modernes.
D) L’incapacité
Dernier effet indésirable relevé par Julia de Funès : l’incapacité.
Dans un monde où les repères extérieurs ont disparu, tout repose sur les capacités individuelles. La question qui hante l’individu moderne devient :
« Suis-je capable de le faire ? »
Le problème, c’est que cette époque vend aussi l’illusion que tout est possible : grâce au développement personnel, aux coachings et aux recettes de bonheur, chacun serait censé pouvoir accomplir n’importe quoi…
Mais quand la réalité ne suit pas cette promesse, la déception est immense. Et cette désillusion peut rapidement conduire à une déprime profonde : si tout était censé être possible et que j’échoue, alors c’est que je suis insuffisant.
🌟 Deuxième partie : Les réconforts imaginaires
Chapitre 1 : Les coachs, nouveaux Tartuffes
Julia de Funès commence par rappeler l’origine du mot “coach” : il vient du mot “cocher”, celui qui conduit d’un point à un autre. Mais elle s’interroge : les coachs d’aujourd’hui conduisent-ils vraiment quelque part… ou tournent-ils en rond en prenant en otage notre quête de sens ?
A) Une occasion plus qu’une vocation
Après avoir décrit le profil type du coach, elle dénonce une tendance : beaucoup ne deviennent pas coach par vocation profonde, mais par occasion. Souvent, c’est une reconversion par défaut : un refuge après une carrière décevante ou peu épanouissante.
Elle critique aussi la posture de supériorité implicite de certains coachs : ils s’installent comme guides vers un idéal radieux, en déformant parfois la réalité pour mieux correspondre à cet idéal. Le coaching devient alors une satisfaction narcissique : le coach se sent valorisé en “sauvant” ses clients, tout en restant au-dessus d’eux.
B) Une frustration à l’origine d’une reconversion
Julia de Funès illustre son propos avec une formule piquante :
« Le coaching est à la psychanalyse ce que l’homéopathie est à la médecine. »
Pour elle, le coaching attire souvent ceux qui n’ont pas réussi à devenir psychanalystes, psychologues ou psychiatres. Plutôt que d’affronter les exigences et la rigueur de ces disciplines, ils se tournent vers une voie plus floue, moins encadrée : le coaching.
Elle critique ainsi des formations parfois à la limite de la légalité, où n’importe qui peut s’autoproclamer coach après quelques semaines de formation.
Dans ce contexte, le coaching se déploie dans tous les domaines de la vie :
- Couple
- Parentalité
- Nutrition
- Sport et bien-être
- Relooking
- Coaching mental pour “réparer” le client
- Et même en entreprise, avec l’émergence du fameux CHO (Chief Happiness Officer) – qu’elle compare malicieusement au CHU (hôpital) tant la quête du bien-être vire parfois à la caricature.
Une illusion de bonheur
Julia de Funès note un paradoxe frappant :
Jamais les entreprises n’ont autant investi dans le bien-être… et jamais le mal-être n’a été aussi présent (arrêts maladie, burn-out, désengagement).
Comment l’expliquer ? Selon elle, ces dispositifs produisent souvent une image de bonheur plutôt qu’un vrai état de bien-être :
« On préfère l’image à l’état, on se contente de l’un à défaut de jouir de l’autre. Mais on sent bien, au fond, qu’on joue à être heureux, plus qu’on ne l’est véritablement en suivant ces parcours tout tracés. »
En résumé, on fabrique des rituels et des symboles du bonheur, mais sans traiter la racine des problèmes
C) « Expansion inversement proportionnelle à la compréhension » – Hegel
Julia de Funès convoque ici Hegel pour illustrer son propos : selon lui, plus un concept est vaste, plus il devient flou. Autrement dit, l’expansion d’une idée est souvent inversement proportionnelle à sa compréhension.
Elle fait un parallèle direct avec le monde du coaching : plus les coachs se multiplient, plus leurs conseils deviennent généraux et creux. Peu importe la pertinence ou la profondeur du conseil… du moment qu’il parle à tout le monde, il ne dit plus rien de précis.
Julia ironise également sur la qualité des formations au coaching, en soulignant qu’on y oublie parfois des principes logiques de base :
« Les principes de réflexivité et de non-contradiction ne sont visiblement pas enseignés dans les formations au coaching. »
En clair, certains coachs tiennent des discours où tout et son contraire peuvent coexister, créant une confusion qui, loin d’aider l’individu, entretient l’illusion d’un savoir profond.
Chapitre 2 : Les livres de développement personnel, nouveaux guides d’égarement
A) Une brève histoire du développement personnel
Le développement personnel regroupe un ensemble hétéroclite de pratiques visant à mieux se connaître, développer ses talents, améliorer sa qualité de vie et réaliser ses rêves. Son intérêt : il est vaste et accessible. Son défaut : il devient parfois une mosaïque confuse où tout et n’importe quoi se mélange.
Julia de Funès retrace brièvement l’histoire de ce mouvement :
- 1919 : Alice Bailey annonce le retour du Christ et une méditation collective.
- 1922 : Émile Coué et sa célèbre méthode de l’autosuggestion positive.
- 1936 : Dale Carnegie et son programme de développement personnel appliqué aux affaires (Comment se faire des amis).
- 1973 : Richard Bandler et John Grinder inventent la Programmation Neuro-Linguistique (PNL).
Elle rappelle aussi le succès colossal du secteur aujourd’hui : 53 millions d’euros de chiffre d’affaires rien que pour le rayon développement personnel des librairies. Des dizaines de livres qui promettent tous la même chose : répondre à des attentes psychologiques profondes.
Pour étayer son analyse, Julia de Funès s’appuie notamment sur trois ouvrages phares :
- Devenir soi de Jacques Attali
- Cessez d’être gentil, soyez vrai de Thomas d’Ansembourg
- Les cinq blessures qui empêchent d’être soi-même de Lise Bourbeau
Ces best-sellers illustrent parfaitement le mélange d’aspiration sincère et de promesses parfois simplistes qui caractérise le marché du développement personnel.
B) Pourquoi ça marche ?
Julia de Funès reprend ici les propos de Thomas d’Ansembourg (Cessez d’être gentil, soyez vrai) pour expliquer le succès massif des livres de développement personnel. Selon lui, si un livre promet d’apporter tous les moyens pour s’épanouir, s’affirmer et vivre en harmonie avec soi-même, c’est parce qu’il répond à un besoin profond : celui d’entendre qu’un mieux-être est possible, accessible et presque garanti.
Plusieurs éléments expliquent cet engouement :
- Un discours horizontal et empathique
Dans un monde où l’autorité est mal vue, les auteurs se présentent comme compagnons de route plutôt que comme “sachants”. Ils racontent souvent leur propre expérience, créant une proximité rassurante avec le lecteur. - Un style accessible et familier
Puisque l’effort n’est plus une valeur noble dans notre époque, ces livres privilégient un ton simple, des promesses concrètes et des méthodes “clés en main”. - La promesse d’une liberté totale
Le leitmotiv répété encore et encore : “tout est possible”. Il suffirait de changer sa perception ou son état d’esprit pour transformer sa vie. Cette idée flatte le narcissisme moderne (déjà évoqué dans la première partie) en laissant croire que la réussite dépend uniquement de soi… et qu’elle peut s’obtenir rapidement. - Un gain de temps et d’efficacité
Le développement personnel séduit aussi parce qu’il propose des moyens rapides d’augmenter sa détermination et d’obtenir des résultats sans passer par un long travail d’introspection.
En résumé, ces livres fonctionnent parce qu’ils offrent exactement ce que le lecteur a envie d’entendre : une espérance simple et immédiate dans un monde complexe et incertain.
C) Connivence
Julia de Funès analyse la stratégie de connivence utilisée par de nombreux auteurs de développement personnel.
Leur discours est conçu pour être amical et rassurant :
- Tutoiement pour créer une proximité immédiate
- Déclarations d’amour ou d’estime envers le lecteur
- Invitations au plaisir et à l’épanouissement
Tout est mis en place pour tranquilliser et déculpabiliser. Le ton se veut doux, uniformisé, bienveillant, presque anesthésiant. L’empathie extrême et la valorisation du lecteur ouvrent une porte séduisante : celle de la promesse que chacun est déjà exceptionnel… il ne reste plus qu’à le réaliser.
D) Séduction
La séduction devient alors une autre arme puissante de ces ouvrages. Puisque le lecteur est en quête de sens et souvent inquiet face à lui-même, il suffit de le valoriser et de souligner son unicité pour le séduire.
Le message implicite est simple :
“Tu es une merveille que le monde n’a pas encore découverte.”
Puis vient la promesse :
“Si tu te prépares correctement, tu peux tout accomplir.”
Julia de Funès dénonce ici une technique de manipulation subtile : ces livres confondent confiance en soi et assurance.
- L’assurance, c’est la certitude absolue, la croyance que l’on maîtrise tout.
- La confiance, au contraire, suppose une part d’incertitude et d’humilité : croire, c’est accepter de ne pas tout savoir. Elle illustre ce point en évoquant la foi chrétienne : on croit en Dieu justement parce que son existence ne peut pas être prouvée.
Cette distinction est essentielle : en glorifiant l’assurance et l’autosuffisance, ces ouvrages peuvent nourrir un individualisme tout-puissant, coupé de l’ouverture à l’autre et de la vulnérabilité pourtant nécessaire à toute relation authentique.
E) Promesses
Julia de Funès conclut son analyse en évoquant le cœur même de ces ouvrages : la promesse.
« Promettre, faire croire, faire rêver »
Ces livres promettent de transformer nos rêves en réalité, comme une compensation face aux frustrations du quotidien. Et pour séduire, ils s’appuient sur trois grands fantasmes universels décrits par Freud :
- Le fantasme de possession
Ces ouvrages invitent le lecteur à devenir maître de lui-même et de sa vie. Tout serait accessible si l’on appliquait la bonne méthode. - Le fantasme de réparation
Ils nourrissent l’idée que tout échec pourrait être corrigé : il suffirait de mieux se préparer, de mieux rebondir, et ce qui a échoué hier réussirait demain. - Le fantasme de séduction
Enfin, ces livres subliment les qualités du lecteur et lui font croire qu’il peut créer son propre chemin, sans contraintes. Cette séduction repose sur un jeu subtil :
- L’auteur enfantilise le lecteur en appuyant sur ses manques et ses rêves
- Puis il s’installe en position de toute-puissance en lui offrant une illusion douce pour échapper à la réalité
La clé de cette séduction ? Créer une relation de confiance où le lecteur, séduit par les promesses, adhère au message et se laisse guider.
F) Recettes
Julia de Funès critique ici la tendance des livres de développement personnel à proposer des “recettes” toutes faites pour résoudre les questions existentielles les plus complexes.
« Pour résoudre les questionnements existentiels les plus complexes, ils proposent des modes d’emploi, des guides d’utilisation, des recettes comportementales. »
Selon elle, cette approche donne l’illusion que l’on pourrait, comme un mécanicien suivant un tutoriel, réparer nos blessures intérieures étape par étape. Cette vision gestionnaire et statique du vivant réduit la complexité humaine à des procédures techniques, comme si une bonne stratégie ou une bonne planification suffisait à maîtriser l’irrationalité et l’imprévisible.
Exemple : la méthode OSBD
Julia de Funès prend l’exemple de la méthode OSBD (Observation – Sentiment – Besoin – Demande), popularisée par des auteurs comme Thomas d’Ansembourg et Lise Bourbeau.
Elle questionne la pertinence de ce schéma :
- Observation : comment rester objectif quand on est à la fois juge et partie de sa propre vie ?
- Sentiment : le sentiment relève de l’affect et de la subjectivité ; comment passer de l’observation (objective) à l’émotion (subjective) sans contradiction ?
- Besoin : un besoin est vital (on ne peut vivre sans), alors qu’une demande peut être refusée. Si on confond les deux, que se passe-t-il si la demande n’est pas satisfaite ? Sommes-nous alors “en danger de vie” ?
- Demande : elle s’étonne que ces méthodes ignorent que nos besoins, sentiments et demandes évoluent en permanence selon nos expériences et états psychologiques.
L’injonction inconciliable
Julia conclut ce chapitre en parlant du double bind (injonction contradictoire) :
Ce n’est pas seulement demander une chose et son contraire, mais proposer un objectif en donnant des moyens qui ne permettent pas de l’atteindre.
Résultat : si le lecteur échoue, la responsabilité lui retombe dessus. Il n’a pas “bien suivi la méthode”, et se sent coupable de ne pas réussir à être heureux. Pour Julia de Funès, cette logique peut mener à une impasse existentielle et à une perte de temps, plutôt qu’à une véritable transformation.
Chapitre 3 : Main tendue ou mainmise ?
A) Manipulation
Julia de Funès ouvre ce chapitre en analysant la puissance de la peur. Selon elle, la peur est une émotion si forte qu’elle empêche de voir la réalité telle qu’elle est vraiment. Elle s’appuie sur cette citation percutante :
« Celui qui parvient à contrôler la peur de l’autre devient le maître de son âme. »
C’est précisément ce mécanisme que Julia observe dans certains livres de développement personnel : ils exploitent les peurs profondes des individus pour mieux les accrocher et proposer leurs solutions.
Ces peurs sont multiples :
- Peur de ne pas être soi-même
- Peur de l’altérité en soi (découvrir une partie de nous qu’on ne connaît pas)
- Peur de ne pas correspondre à l’image que l’on projette
Plutôt que d’accepter cette part d’imprévisibilité inhérente à l’humain, les coachs et auteurs de développement personnel cherchent à la contrôler avec des recettes toutes faites. Mais contrôler revient souvent à conformer, et conformer revient à étouffer l’individualité et la souveraineté de chacun.
B) Influence
Julia de Funès montre que le bien-être proposé par le développement personnel est souvent une réaction face aux autres plus qu’une action véritablement autonome.
Paradoxe : ces livres et coachs encouragent à ne plus subir d’influence extérieure, à se libérer des normes imposées… mais finissent eux-mêmes par dicter une nouvelle série d’injonctions.
Ils enchaînent conseils et prescriptions :
- “Cessez de faire ceci”
- “Ne dites plus cela”
- “Exprimez-vous de cette façon”
Elle illustre ce point avec l’ouvrage Cessez d’être gentil, soyez vrai de Thomas d’Ansembourg, qui, tout en prônant l’authenticité, fournit une liste de comportements à adopter… donc une nouvelle norme.
C) Fourberie
Julia précise que son but n’est pas de critiquer la volonté sincère d’aider présente chez certains coachs et auteurs, mais plutôt de dénoncer les incohérences rhétoriques et idéologiques de cette mouvance.
Elle souligne les injonctions paradoxales :
- Les objectifs promis sont nobles (retrouver sa singularité, être soi)
- Mais les moyens proposés reposent sur des conduites standardisées et extérieures
Elle pose alors une question percutante :
“Comment retrouver son naturel en suivant des conduites dictées de l’extérieur et donc nécessairement impersonnelles ?”
Selon elle, cet écart entre promesse et méthode alimente la frustration et l’illusion plus qu’il ne favorise une véritable transformation intérieure.
D) Un développement… instantané
Julia de Funès rappelle que “être soi ne va pas de soi” : construire une véritable conscience de soi demande du temps, de l’expérience et une maturation progressive.
Or, le développement personnel vend souvent une illusion d’immédiateté : quelques étapes simples, des exercices rapides, et hop… on serait enfin soi-même. Cette logique nie la réalité du vivant, qui s’organise et se transforme dans la durée.
E) Seul… avec les autres
Julia souligne un autre paradoxe : le développement personnel pousse à s’arracher à autrui, à devenir autonome et indépendant… tout en reposant fortement sur l’image que les autres nous renvoient.
Cette tension est centrale :
- Comment rester authentique si notre identité se construit aussi dans le regard des autres ?
- Est-il possible de forger une identité solide tout en restant fluide et adaptable dans nos relations sociales ?
Pour Julia de Funès, le développement personnel oublie souvent une dimension essentielle : la relation à l’autre n’est pas un frein, mais un accès privilégié à soi-même. S’ouvrir à autrui permet de mieux se connaître… à condition d’accepter cette part de vulnérabilité.
F) De la com… sans communication réelle
Julia de Funès reprend ici les techniques proposées par Thomas d’Ansembourg, qui incitent moins à entrer en relation avec les autres qu’à éviter les conflits. Ces méthodes, inspirées de la communication non-violente, visent à fluidifier les échanges et à prévenir les tensions.
Mais pour Julia, cette approche cache une limite : éviter le conflit, c’est aussi fuir la confrontation authentique qu’une véritable ouverture à l’autre suppose. Sans prise de risque, pas de lien profond possible.
G) Une rationalité… mystique
Julia dénonce enfin une autre dérive : celle du mysticisme présent dans certains ouvrages. Les auteurs se positionnent parfois en figures quasi sacrées, prêchant un message présenté comme une vérité absolue.
La manipulation repose alors sur cette confusion : faire passer des croyances pour des connaissances.
Or, rappelle Julia :
- Penser, c’est examiner, douter, questionner.
- Croire, c’est soumettre le réel à un sens préétabli.
En incitant à croire plutôt qu’à penser, certains discours de développement personnel enferment le lecteur dans une logique de foi plutôt que de réflexion, transformant l’auteur en évangéliste et le lecteur en disciple.
H) Une pratique… théorique
Julia de Funès cite l’exemple d’un chapitre du livre de Jacques Attali, qui met en avant des figures ayant trouvé leur authenticité. Paradoxalement, ces personnes ne sont pas devenues elles-mêmes grâce à un manuel ou une théorie comportementale, mais par une vocation, un choc ou une rencontre marquante.
Elle souligne donc une contradiction : on érige en modèle des individus authentiques qui ne se sont jamais appuyés sur les recettes qu’on nous propose aujourd’hui.
I) Un naturel… codifié
Julia de Funès conclut cette partie sur une interrogation percutante :
« Les trucs guidés pour devenir authentique, libre et heureux, n’est-ce pas là le paroxysme de la contradiction ? »
Elle rappelle l’étymologie d’autonomie :
- Autos : soi-même
- Nomos : loi
Être autonome, c’est donc se donner sa propre loi. Comment alors prétendre devenir autonome… en suivant à la lettre des prescriptions extérieures ?
Pour Julia, le naturel véritable est spontané, ouvert à l’autre, passionné et involontaire. Et c’est précisément ce naturel qu’étouffent les codes imposés par certains discours du développement personnel.
Cette réflexion prépare la troisième partie du livre : introduire une dose de philosophie pour questionner les présupposés de ces méthodes et ouvrir une voie vers une pensée plus libre et plus rigoureuse.
🔓 Troisième partie : Comment se libérer des idéologies du développement personnel ?
Chapitre 1 : Idéologie de la rationalisation
A) Déconstruction : entre raison et sentiments
Julia de Funès commence par démonter une idée centrale des méthodes de développement personnel : la croyance que la raison peut influencer nos sentiments et émotions. Selon elle, cette approche est trompeuse et simpliste.
Elle rappelle que la grandeur de l’homme ne réside pas dans la domination d’une tendance sur l’autre, mais dans l’arbitrage permanent entre raison et passion. Pour étayer cette analyse, elle convoque deux grands philosophes :
- Kant : Pour lui, le seul sentiment qui peut sembler rationnel est le respect, car il découle d’une reconnaissance d’une loi morale. Les autres émotions échappent à la rationalité.
- David Hume : Il va plus loin en affirmant que la raison n’est qu’une faculté de l’esprit permettant de combiner des éléments entre eux, mais qu’elle ne motive pas l’action. Sa célèbre formule résume tout :
« La raison est l’esclave des passions. »
Julia illustre ce point par un exemple concret :
Un fumeur sait parfaitement que la cigarette est nocive. Sa raison reconnaît le danger. Pourtant, il continue de fumer. Pourquoi ? Parce que le désir immédiat de fumer est plus fort que la crainte rationnelle des conséquences.
La seule manière de contrer cette envie serait de trouver un désir plus fort (par exemple, vouloir être en bonne santé pour un enfant à naître).
Pour Julia de Funès, raison et sentiments sont donc imperméables l’un à l’autre. Penser que des recettes rationnelles suffisent à maîtriser nos passions est une illusion largement entretenue par les livres de développement personnel.
B) Ouverture philosophique : « Sous toute pensée, git un affect » – Nietzsche
Julia de Funès poursuit sa réflexion en s’appuyant sur Nietzsche, qui affirme que les affects sont la source même de la raison. Autrement dit, toute pensée rationnelle repose d’abord sur une émotion ou un ressenti qui la précède.
Elle rejoint aussi Aristote, pour qui l’appétit (le désir) est ce qui met l’homme en mouvement. Ce n’est pas la pure raison qui nous fait agir, mais ce que nous désirons profondément.
Pour éclairer ce mécanisme, Julia cite Michela Marzano et son ouvrage Je consens, donc je suis. Marzano distingue deux types de désirs :
- Les désirs de premier ordre : impulsifs, immédiats, liés à la pulsion (plaisirs simples et instantanés).
- Les désirs de second ordre : réfléchis, orientés vers un projet ou un idéal (ce qui demande un effort conscient pour suivre une ligne de conduite).
Selon Julia, c’est précisément sur ces désirs de second ordre que le développement personnel et le coaching cherchent à agir : aider les individus à aligner leurs projets de vie avec leurs aspirations profondes… tout en courant le risque de les réduire à de nouvelles injonctions de performance.
Chapitre 2 : L’idéologie de l’introspection
A) Déconstruction : le « moi » ne serait-il qu’une fiction ?
Julia de Funès introduit ce chapitre en soulignant que le développement personnel poursuit souvent un objectif pratique et concret : mieux manger, mieux parler, méditer, mieux gérer ses émotions… autant de pratiques solitaires et centrées sur soi-même.
Elle pose alors une question provocatrice :
« La connaissance de soi est-elle nécessairement introspective, autarcique et narcissique ? »
Pour y répondre, elle s’appuie sur le philosophe David Hume, qui soutient que l’introspection ne permet pas de trouver un “moi” stable et identifiable. Selon lui :
- Nous sommes une multiplicité de perceptions changeantes et hétérogènes.
- Notre esprit, par un travail d’imagination, relie ces perceptions entre elles et crée une impression de continuité.
- Ce que nous appelons “moi” est donc une construction mentale, une fiction vivante qui nous donne une illusion de permanence.
Hume explique que cette fiction naît d’un double mécanisme :
- La ressemblance entre nos perceptions nous donne une impression d’unité.
- La causalité (lien de cause à effet) renforce cette impression de continuité et crée l’idée d’identité.
Julia illustre cette idée avec une image proposée par Paul Ricoeur :
Une nation existe parce que des individus la composent. Si ces individus disparaissent, la nation disparaît aussi. De la même manière, le “moi” est constitué par l’ensemble de nos sensations, émotions, croyances et perceptions. Retirez-les… et le moi s’efface.
Cette conception peut sembler déstabilisante :
- Oui, le “moi” est une fiction, car il repose sur l’imagination.
- Mais c’est une fiction naturelle et vitale : elle nous permet de nous penser comme une personne continue, de nous projeter dans l’avenir, de prendre des décisions et d’assumer nos responsabilités.
En somme, croire à ce “moi fictif” donne de la cohérence à notre existence et rend possible la vie morale et sociale.
B) Ouverture philosophique : « Connais-toi toi-même » – Socrate
Julia de Funès explore une alternative à l’introspection narcissique proposée par le développement personnel : le questionnement socratique.
Elle rappelle que dans la Grèce antique, se connaître soi-même ne signifiait pas se centrer sur son nombril, mais plutôt découvrir sa place dans un ordre supérieur et extérieur. Selon Socrate, l’individu appartient à une totalité dont il n’est ni maître ni possesseur. L’enjeu est donc de trouver son “topos” (sa place) dans ce tout, comme un organe dans un organisme.
Pour Socrate, la connaissance de soi passe par deux étapes clés :
- Se détourner des solutions toutes faites : refuser les recettes préfabriquées et entrer dans un questionnement authentique.
- Dialoguer plutôt qu’introspecter seul : la vérité se découvre dans l’échange avec l’autre, par un processus vivant et évolutif plutôt qu’une méthode figée et duplicable.
Julia souligne que cette démarche exige une rigueur langagière et conceptuelle : poser les bonnes questions, définir les termes, examiner les idées. Et c’est justement ce manque de rigueur qu’elle reproche à nombre de méthodes de développement personnel, qui glissent vers une concentration narcissique au lieu d’ouvrir vers une vision plus globale et partagée.
Chapitre 3 : Idéologie de la toute-puissance
A) Déconstruction : suffit-il de vouloir pour pouvoir ?
Julia de Funès ouvre ce chapitre en questionnant une croyance centrale des discours de développement personnel : “Si tu veux, tu peux.”
Elle interroge directement cette idée :
« Une prise de conscience mène-t-elle forcément à un changement ?
Est-ce qu’il suffit de vouloir le bien pour le faire, ou de voir le mal pour l’éviter ? »
Beaucoup de méthodes de développement personnel posent comme acquis que conscience et action vont de pair et que notre façon d’être relève entièrement de notre responsabilité individuelle. Julia de Funès démonte cette idée en pointant trois confusions majeures :
1. Confusion entre volonté et entendement
Les coachs et auteurs parlent beaucoup d’“être soi-même”, mais sans jamais préciser ce que cela signifie concrètement. Julia souligne que cette notion est floue : quelle représentation exacte devons-nous nous faire de nous-mêmes pour agir ?
2. Confusion entre volonté et liberté
Le développement personnel présente souvent l’individu comme entièrement maître de lui-même, affranchi de toute influence extérieure ou déterminisme. Julia s’appuie ici sur Spinoza :
- Nous ne voulons pas librement ; nos désirs et émotions nous traversent et influencent nos choix.
- La raison sert souvent à justifier nos penchants plutôt qu’à les diriger.
- L’homme n’est pas tout-puissant : il subit des déterminismes biologiques, sociaux, affectifs.
3. Confusion entre volonté et maîtrise
Enfin, Julia critique l’idée qu’il existerait une coïncidence parfaite entre l’intention et le résultat final. Dans la réalité humaine, nous ne maîtrisons jamais totalement les effets de nos actions :
- Des éléments extérieurs (rencontres, passions, hasard) peuvent provoquer des changements inattendus.
- Le bien-être n’est pas toujours une conséquence directe de la volonté ; il peut surgir malgré nous.
En résumé, Julia de Funès rappelle que vouloir ne suffit pas à pouvoir, et que l’idéal de toute-puissance vendu par le développement personnel occulte la complexité des déterminismes qui nous traversent et l’importance des événements extérieurs dans notre construction.
B) Ouverture philosophique : les pouvoirs de l’involontaire
À l’opposé de l’idée de maîtrise absolue véhiculée par le développement personnel, Julia de Funès s’inspire de Marcel Proust et de son concept du souvenir involontaire. Pour Proust, ce n’est pas la volonté, mais bien l’imprévisible surgissement d’une sensation qui nous reconnecte profondément à nous-mêmes.
Un goût, une odeur, un son, semblable à un événement déjà vécu, peuvent déclencher une réminiscence puissante qui permet de revivre – et enfin de voir – notre “moi” véritable. Cette expérience intime montre que l’accès à soi ne se trouve pas dans des techniques rationnelles rapides, mais dans la mémoire sensorielle qui se déploie dans le temps.
Julia souligne que ce processus s’oppose frontalement au discours du développement personnel :
- Il ne s’agit pas de se projeter vers un futur idéal, mais de laisser le passé resurgir par des sensations.
- L’identité se construit dans la durée : si le temps détruit certaines choses, il en construit d’autres par la mémoire et l’expérience vécue.
Elle utilise la métaphore du développement photographique : comme une image qui apparaît peu à peu dans un bain révélateur, la vérité de l’être se développe lentement et ne se donne pas immédiatement.
Enfin, Julia critique l’isolement du développement personnel, trop centré sur soi : elle rappelle que le sentiment de soi s’actualise aussi dans les rencontres, les hasards et les contingences extérieures. Autrement dit, nous ne nous construisons pas seuls : nous nous découvrons dans le monde, en interaction avec lui.
Chapitre 4 : Idéologie de la coïncidence avec soi-même
A) Construction : « On est ce qu’on n’est pas, on n’est pas ce qu’on est » – Jean-Paul Sartre
Julia de Funès s’appuie ici sur Jean-Paul Sartre pour questionner une autre illusion entretenue par le développement personnel : l’idée qu’on pourrait coïncider pleinement avec soi-même.
Elle rappelle que, pour Sartre, la nature même de la conscience humaine rend impossible l’unité parfaite du “moi”. Contrairement aux objets (comme un arbre, qui “est ce qu’il est”), la conscience est par essence projetée vers l’extérieur : elle se définit dans un mouvement d’intentionnalité, tournée vers ce qu’elle n’est pas encore.
Cette dynamique crée une dualité permanente :
- D’un côté, nous cherchons à devenir nous-mêmes.
- De l’autre, notre conscience nous empêche de nous figer dans une identité stable.
Sartre appelle “mauvaise foi” cette tendance à se mentir à soi-même : se croire réduit à son rôle social, son caractère, ou son image. Penser “je suis ceci” ou “je suis cela” revient à se chosifier, à se réduire à une étiquette, à nier la liberté fondamentale qui fait de nous des êtres en devenir.
Julia applique cette réflexion au développement personnel : les méthodes qui demandent de “correspondre à” une version idéale de soi-même finissent par nier la liberté du sujet. Elles pétrifient l’individu dans une image, alors que notre conscience échappe par nature à toute définition figée.
Selon elle, le développement personnel promet de combler l’inconfort lié à notre condition consciente – cette tension entre ce que nous sommes et ce que nous voulons être – en misant sur la volonté et la liberté absolues. Mais cette promesse est illusoire : vouloir coïncider parfaitement avec soi-même, c’est méconnaître la complexité mouvante de l’être humain.
B) Ouverture philosophique : c’est par l’ouverture à l’autre que le « moi » advient
Julia de Funès pose une question fondamentale :
« Comment demeurer le “même” si nous sommes une dualité permanente ? »
Pour y répondre, elle s’appuie sur Paul Ricoeur, qui propose une vision différente de la cohérence avec soi-même. Selon lui, l’identité ne repose pas sur une fixité intérieure, mais sur la promesse : un engagement dans le futur qui relie passé, présent et avenir.
Ricoeur appelle cela l’attestation :
- Tenir sa parole dans le temps
- Être fidèle à la parole donnée
- Se retrouver plus tard avec soi-même à travers cette continuité d’engagement
Cette fidélité n’exige pas la maîtrise totale de soi, mais au contraire accepte la vulnérabilité : nous ne contrôlons pas tout, et pourtant nous choisissons de rester fidèles à notre engagement.
Dans cette perspective, l’identité se construit dans la relation à autrui. C’est l’autre qui soutient la promesse et nous rappelle à nous-mêmes. Nous devenons nous-mêmes par l’intersubjectivité : en nous projetant dans l’avenir à travers des liens et des engagements partagés.
Cette approche est aux antipodes de la logique du développement personnel centré sur le présent et sur soi : elle redonne à l’autre une place essentielle dans la construction du “moi”.
Chapitre 5 : Idéologie de l’intellectualisation
Julia de Funès ouvre ce chapitre en critiquant une dérive fréquente du développement personnel : la surestimation de la capacité humaine d’autodétermination. Les techniques managériales et les discours motivants tendent à faire croire que tout serait le fruit de la seule volonté individuelle : nos réactions, nos émotions, nos blessures, nos choix… comme si chacun pouvait se façonner lui-même à volonté, indépendamment des contextes psychiques, psychologiques, sociaux et historiques dans lesquels il évolue.
Elle interroge cette croyance :
N’est-ce pas illusoire de penser que tout dépend de soi, y compris la manière dont on se perçoit soi-même ?
Pour approfondir cette réflexion, Julia convoque Jacques Lacan et sa formule provocante :
« La ruse de la raison consiste à faire croire aux individus que le sujet, dès l’origine et jusqu’au bout, c’est ce qu’il veut. »
Autrement dit, nous nous pensons maîtres de nos désirs, alors qu’ils sont souvent façonnés par des influences extérieures et inconscientes.
Julia conclut son introduction en soulignant ce tiraillement permanent : l’individu oscille entre ce qu’il vise pour lui-même et ce qu’il est réellement, sans en avoir toujours une conscience claire.
A) Déconstruction : derrière le voile d’ignorance
Julia de Funès convoque ici le philosophe John Rawls et son concept du voile d’ignorance : une situation théorique où des agents rationnels, privés de toute connaissance de leur position sociale, détermineraient les conditions équitables d’une société juste.
Si cette idée fonctionne pour concevoir la justice sociale, Julia questionne son applicabilité dans la vie affective et personnelle. Car nos décisions ne reposent pas uniquement sur une rationalité pure :
- Elles sont façonnées par nos souffrances, nos joies, nos frustrations, nos désirs.
- Nos préférences elles-mêmes sont influencées par notre histoire et notre contexte culturel.
Elle pose alors une question clé :
Peut-on vraiment imaginer une vie personnelle “juste” en ignorant ce qui nous constitue intimement ?
B) Ouverture philosophique : c’est par la passion que le « moi » se révèle
Pour Julia, l’opposé de cette quête de maîtrise absolue se trouve dans la passion, telle que la décrit Stendhal. Là où le développement personnel glorifie le contrôle de soi, Stendhal célèbre les élans irrationnels et spontanés qui révèlent notre authenticité.
« Nous sommes nous-mêmes, naturels, authentiques, heureux, dans les moments qui dépassent la réflexion et la rationalité : ceux de la passion. »
Stendhal oppose ainsi la vanité sociale, qui pousse à suivre les conventions et à se comparer aux autres, au naturel libre et singulier qui surgit dans la passion. Cette comparaison constante nous éloigne de nous-mêmes :
- Le développement personnel, en incitant à l’auto-observation permanente, nourrit cette réflexivité.
- Or, il n’y a pas de meilleur moyen de perdre son naturel que de vouloir l’atteindre consciemment.
Julia illustre cette idée avec Le Rouge et le Noir, où la passion des personnages ne s’explique pas et ne se maîtrise pas : elle survient, imprévisible et irrationnelle. Pour elle, c’est précisément ce caractère non codifiable qui fait la richesse et l’authenticité de ces instants.
Chapitre 6 : Idéologie de l’approche analytique
Julia de Funès introduit ce chapitre en évoquant les disciplines à la mode dans le champ du développement personnel : PNL (Programmation Neuro-Linguistique), analyse transactionnelle, neurosciences… Si ces approches ont permis des avancées intéressantes, elles se heurtent néanmoins à un défi majeur : relier la biologie et la physiologie neuronale à la psychologie, c’est-à-dire à la conscience, à l’esprit et à la réflexion humaine.
Elle illustre cette limite par une démonstration reprise de Luc Ferry (Matérialisme ou spiritualisme, Le Figaro, 2019) :
- Le “cerveau du matin” d’un individu n’arrive pas à résoudre une équation.
- Le soir, le même cerveau trouve la solution… sans qu’aucune transformation neuronale visible n’ait eu lieu entre-temps.
Ce décalage interroge : comment expliquer le surgissement de certaines idées ou compréhensions si tout était purement biologique ? Cela montre que la dimension analytique, même fondée scientifiquement, ne peut suffire à expliquer la complexité de l’esprit humain.
A) Déconstruction : réductionnisme des outils analytiques
Julia de Funès critique la tendance actuelle à multiplier les kits et outils d’analyse proposés par les coachs, qu’elle surnomme ironiquement des “Mécano du conseil”. Ces outils promettent de décortiquer l’être humain avec une précision quasi scientifique, mais au risque de réduire sa complexité.
Elle oppose cette approche simplificatrice aux philosophes qui, depuis 2500 ans, explorent la richesse et la profondeur de l’expérience humaine. En particulier, elle s’appuie sur Henri Bergson, qui distingue deux dimensions du “moi” :
- Un moi superficiel, façonné par les habitudes et conventions sociales.
- Un moi profond, une unité multiple et vivante où chaque état exprime la personnalité tout entière. Ce moi profond ne peut être réduit à une simple succession d’instants juxtaposés ou analysés mathématiquement.
Julia critique alors la tendance des analyses comportementales et neurocognitives à fragmenter l’humain en une série de compartiments : cerveau limbique, reptilien, analytique, hémisphère gauche et droit, zones visuelles ou frontales… Au final, l’individu est cartographié et étiqueté comme un produit avec un code-barres, perdant toute dimension qualitative et vivante.
Elle insiste sur une nuance essentielle :
- Dans la réalité, chaque élément nouveau qui entre dans notre expérience se fond dans l’ensemble et transforme le tout.
- L’approche purement quantitative, qui juxtapose des états séparés, ne peut rendre compte de cette dynamique profonde.
Julia conclut en affirmant que ce réductionnisme analytique nous fait perdre notre âme : en cherchant à tout expliquer, on oublie la continuité vivante et imprévisible qui fait notre singularité.
B) Ouverture philosophique : entre intelligence et intuition
Julia de Funès poursuit sa critique de l’approche analytique en soulignant qu’elle crée une distance artificielle avec soi-même. Elle insiste cependant sur une nuance importante : il ne s’agit pas de rejeter le “moi” superficiel (celui qui nous permet de fonctionner socialement), mais de trouver un équilibre entre ce moi social et le moi profond qui exprime notre singularité.
Or, dans le quotidien, cet équilibre est difficile à atteindre. Pris dans des habitudes et des besoins immédiats, nous nous éloignons de notre réalité authentique. Julia résume cette tension ainsi :
« La principale difficulté de l’existence humaine tient dans la nécessité morale de se créer soi-même, c’est-à-dire de dépasser les exigences sociales et d’intelligence pour retrouver une énergie vitale qui nous est propre. »
Pour y parvenir, elle s’inspire de Henri Bergson et invite à se tourner vers l’intuition plutôt que l’analyse :
- L’intuition permet de toucher les choses dans leur essence, dans leur manière d’être dans le temps.
- Elle suppose un effort : lever le voile des habitudes, dépasser la rationalité, renouer avec l’émotion qui nous met véritablement en mouvement.
Bergson illustre cette idée par une réflexion frappante :
« Nous voulons savoir en vertu de quelle raison nous nous sommes décidés, et nous trouvons que nous nous sommes décidés sans raison, peut-être même contre toute raison. Mais c’est là précisément, dans certains cas, la meilleure des raisons. »
La joie extrême nous donne un étonnement d’être, tandis que la tristesse profonde nous écrase jusqu’à nous faire aspirer au néant. Ces émotions, loin d’être parasites, sont le moteur de notre vitalité et la clé pour retrouver notre naturel.
Julia conclut ce chapitre en affirmant que le plus grand malaise de l’homme moderne réside dans cette coupure avec lui-même : l’obsession de se rationaliser et de se corriger finit par lui faire perdre son élan vital et son authenticité.
Chapitre 7 : Idéologie de la rapidité
A) Déconstruction : passer du temps chronologique à la durée personnelle
Julia de Funès clôt son ouvrage en s’attaquant à une dernière illusion du développement personnel : la quête de rapidité. Ces méthodes promettent souvent des résultats “immédiats” : devenir soi-même en dix étapes, retrouver l’authenticité en quelques jours… Mais cette vision oublie la nature réelle du temps humain.
Elle distingue deux conceptions du temps :
- Le temps chronologique, mesurable et universel, qui se lit sur les horloges et structure notre vie sociale.
- La durée intérieure, concept développé par Henri Bergson, qui désigne le vécu subjectif du temps : une mélodie singulière où chaque instant s’enrichit de tous ceux qui l’ont précédé.
Dans cette durée, rien ne disparaît vraiment : le passé continue de vivre dans le présent et influence chacun de nos choix. Comprendre cette continuité, c’est accepter que se connaître et se construire prend du temps, et que l’authenticité ne peut surgir d’un “programme express”.
B) Ouverture philosophique : « Qui veut être éclair doit rester longtemps nuage » – Nietzsche
Julia de Funès s’appuie sur Nietzsche pour rappeler une vérité que le développement personnel moderne tend à oublier : toute construction intérieure profonde exige du temps. Nietzsche compare ce processus à une grossesse : une lente maturation où s’accumulent progressivement l’énergie et la force nécessaires pour faire naître quelque chose de grand.
Pour forger le “moi”, il faut accepter l’effort, la discipline et la répétition. Plutôt que de multiplier les outils et de s’éparpiller dans une quête effrénée de nouveautés, Julia plaide pour une forme de lenteur volontaire : se fermer temporairement à certaines sollicitations, se soumettre à des règles strictes et avancer avec constance dans une même direction.
Elle prend l’exemple des grands sportifs : leur excellence ne naît pas d’un éclair de génie mais d’un travail acharné, répété, presque artisanal. Ce sérieux, cette obstination dans l’effort, procure plus de substance et de profondeur que toutes les “recettes” rapides promises par le marché du bien-être.
Nietzsche pousse même à une radicalité volontaire :
« Une fois la décision prise, restez sourd, même au meilleur contre-argument. »
Non pas par fermeture d’esprit, mais par fidélité à soi-même : cette “volonté d’être stupide” est parfois la seule manière d’atteindre un but exigeant.
Julia conclut en questionnant les modes d’emploi du développement personnel : pourquoi chercher à suivre ces recettes toutes faites, quand la véritable transformation demande de se soumettre à la lenteur, à la répétition et à l’effort ?
Conclusion : Servitude ou liberté ?
A) Une servitude n’existe que parce qu’elle est volontaire…
Pour conclure, Julia de Funès s’appuie sur la réflexion d’Étienne de La Boétie dans son célèbre Discours de la servitude volontaire. La Boétie cherchait à comprendre ce qui pousse un peuple ou un individu à préférer ployer sous le joug d’un tyran plutôt que de contester son autorité. Le tyran peut être le coach de développement personnel.
Selon lui, la dénaturation des gouvernés (l’habitude de la soumission) et la dénaturation des gouvernants (la soif de dominer) expliquent cette servitude volontaire. La liberté humaine, pourtant, découle de la raison : elle implique l’autonomie et la reconnaissance mutuelle entre les individus. Mais lorsque cette lucidité se perd, les hommes acceptent les chaînes… souvent sans s’en rendre compte.
Julia transpose cette réflexion au développement personnel contemporain. Elle montre comment les individus, croyant se libérer, peuvent en réalité s’enchaîner volontairement à des prescriptions extérieures :
- Ils se disciplinent eux-mêmes en suivant à la lettre des injonctions venues de coachs ou de manuels.
- Ils codifient leur rapport à eux-mêmes, pensant s’affranchir, mais se soumettant à de nouvelles normes.
En France, pays des droits de l’homme et de la liberté, cette servitude n’est plus politique mais psychologique : une emprise subtile où l’individu croit agir pour sa propre libération… alors qu’il obéit à une idéologie qui lui dicte comment être “authentique”, “aligné”, “pleinement soi-même”.
Épilogue : La place du développement personnel
Julia de Funès conclut en réhabilitant la philosophie comme voie privilégiée pour examiner sa vie. Contrairement aux recettes rapides du développement personnel, la philosophie ne promet pas nécessairement le bonheur. Mais elle offre quelque chose de plus profond : une intelligence accrue, une autonomie de pensée qui permet à chacun de devenir pleinement une personne.
En développant la réflexion, la philosophie ouvre la possibilité d’une libération authentique : celle de devenir une singularité libre, capable de se créer par elle-même, en dehors des modes et des injonctions extérieures.
Cette pensée singulière revalorise la liberté individuelle : elle invite à s’affirmer plutôt qu’à se conformer. Face aux “imposteurs comportementaux” et à leurs promesses balisées, la philosophie offre une évasion salutaire et un retour à l’essentiel.
Julia souligne que si la philosophie dure depuis 3 000 ans, c’est parce qu’elle ne se contente pas de donner des réponses toutes faites : elle pose des questions qui élargissent les perspectives, affinent la rigueur du raisonnement et permettent de mieux vivre sa liberté.
Plutôt que d’être une mode, la philosophie demeure une boussole intemporelle pour penser autrement et réinventer sa manière d’exister.
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